Chronique de Bernard Otternaud :
« La musique souvent me prend comme une mer !
Vers ma pâle étoile,
sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,
je mets à la voile »… Baudelaire, la musique.
Depuis quelques temps déjà, j’avais vu passer le nom de ce quartet dans les petites salles de jazz : le Bronxtet comme le jeu de mot de son nom est bien une formation de la région que je m’étais promis d’aller voir, soucieux de chercher les talents ailleurs que sur les grandes affiches à la mode. L’occasion m’était donnée au kiosque de Cybèle ce mercredi 29 juin, puisque Vienne propose de faire jouer sur ses scènes parallèles, pour les applaudissements et la gloire d’un moment, les musiciens de notre région. A défaut de vivre de son cachet le musicien de jazz ne peut pas, pour être heureux vivre toujours caché… Avec les amateurs, nous pouvions parfois nous attendre au meilleur puisque… amo amas amat, c’est j’aime, tu aimes, il aime…
Ce fut le cas ici, pour plusieurs raisons.
D’abord le talent de ses musiciens et en premier lieu de son chef d’orchestre et compositeur, François de Larrard au piano électrique (écoutez son interprétation de Ether (cliquez sur ce lien) sur You tube dans un climat intimiste et la magnifique introduction qui suppose évidemment un bel instrument), de Julien Couvrechef au saxophone ténor et soprano, volubile et précis, de Jean-Paul Gouttenoire à la contrebasse, solide dans les contrechants, pizzicati ou à l’archet, (ah, la jolie valse à l’archet !) comme dans les walking, et Laurent Pancot à la batterie, qui drive bien son affaire, avec énergie et beaucoup de finesse.
Ensuite les compositions de François de Larrard, d’une grande originalité, extrêmement construites et exigeantes, bourrées d’harmonies très modernes -nous devinons une culture pianistique très contemporaine-, de changements rythmiques, de climats variés. Et c’est Colimaçon, Janus, Tony truand, Incidente, Alliance fatale, Poissons volants, Elis, Train to the sky, Un temps festif intempestif (cliquez sur ce lien : captation le 29 juin 2016 au Kiosque de Cybèle). L’imagination et la culture ne manquent pas. On ne s’ennuie pas un instant d’autant plus qu’au saxophone Julien Couvrechef sait retenir l’attention (ah le petit boléro taillé pour lui !). Evidemment ces thèmes sont exigeants, parfois difficiles. Mais le travail de répétition est là. La clarté et la précision sont au rendez-vous et cette musique qui ne frime pas est captivante.
L’humilité des musiciens enfin, est à la hauteur des exigences de la musique désirée et proposée.
« Je suis belle, ô mortels ! Comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière. »… Baudelaire, la Beauté.
Je trouve personnellement cette aventure passionnante et pleine de sens. Je connais pas mal de musiciens amateurs d’un certain âge qui se reposent sur des lauriers que jamais ils n’eurent d’ailleurs, ou se contentent de dévider le même « new orleans » qu’ils fatiguent depuis 50 ans à coup de flagadas mous du genou et autres joyeux pistons à la débandade. Le BronXtet, c’est l’antidote de cette attitude. Je crois, mais cela se discute, qu’il ne considère pas la musique de jazz comme un divertissement aimablement consommable, mais comme un Art (quoi ? un gros mot !), avec toute l’humilité que ce terme suppose. Baudelaire n’avait-il pas noté qu’un idéal fait de son chevalier servant son féal ?
Aussi, beaucoup de rigueur dans la démarche, une déraison amoureuse peut être un peu trop contrôlée mais parfois furieusement efficace (oh, vous n’étiez pas là ! Zut ! écoutez sur You tube le thème Porthos s’interroge (cliquez sur ce lien), une belle leçon de métaphysique et d’humour, avant que le ciel ne lui tombe sur la tête).
Quoiqu’il en soit de ces partis pris, je note que le public de 23 h à Cybèle était encore là, malgré la pluie. Ah, la dérision et le cynisme n’ont pas toujours le dernier mot !
Bernard Otternaud – Jazz-Rhône-Alpes.com